Les Archives Nationales à Paris exposent actuellement le rouleau des interrogatoires des Templiers. Il révèle l’effroyable machination concoctée par les officiers royaux de Philippe le Bel pour écraser cet ordre de moines-chevaliers deux fois centenaire.

L’arrestation des Templiers parachève la lutte entre le Pape et Philippe le Bel. Le roi veut instaurer une théocratie royale où tous les pouvoirs lui sont soumis. Cette lutte devient violente en 1303 à Anagni quand le pape Boniface VIII est brutalisé par Guillaume de Nogaret. Après la mort rapide de Benoit XI, qui a remplacé Boniface VIII, décédé, Clément V accède au trône de Saint-Pierre. Guillaume de Nogaret prépare en secret, pendant un an, l’arrestation des Templiers, la destruction de l’ordre et la confiscation des biens.

Le vendredi 13 octobre, les sénéchaux arrêtent tous les Templiers présents en France. L’acte d’accusation comprend trois accusations graves. L’accusation d’hérésie : ils sont accusés de renier le Christ et de cracher sur la croix pendant leur cérémonie d’intronisation. On les accuse aussi de « sodomie » : toujours pendant la cérémonie, ils seraient incités à embrasser le maitre « sur le bas de l’épine dorsale, sur le nombril et finalement sur la bouche ». Et leurs pairs les autoriseraient à se livrer entre eux à des actes charnels.

Enfin, la dernière accusation est celle d’adoration d’une idole, sans autre précision, qui prendra des formes diverses selon les interrogatoires, avant d’être fixé dans la mémoire collective sous le nom de Baphomet. Le rouleau d’interrogatoire consigne les aveux des 138 Templiers interrogés à Paris. Constitué de parchemins cousus, il fait 22 mètres une fois déroulé. Cette mise en forme impressionnante marque les esprits : chacun peut ainsi constater l’étendue de l’ignominie des accusés.

Le pouvoir de la torture

Il révèle aussi, en creux, l’effroyable machination qui broie les malheureux Templiers. Car ces aveux ne prouvent qu’une seule chose : le pouvoir de la torture ! La technique est précise. Psychologique, d’abord : en prison, c’est l’isolement et le régime pain sec et eau pendant des mois. Les pressions psychologiques continuent pendant les interrogatoires. Guillaume de Nogaret et Guillaume de Plaisians, les accusateurs en chef, font ainsi des apparitions inquiétantes à certains moments clés des interrogatoires des dignitaires de l’Ordre.

On annonce aux accusés que d’autres ont déjà avoué, dont le grand maitre Jacques de Molay. On les menace de la prison à vie et du bûcher. S’ils sont récalcitrants, on leur montre d’abord les instruments de torture. S’ils persistent, c’est la « question ». Le rouleau d’interrogatoire recense les aveux, après le passage à la torture. Les quelques récits extraits de l’enquête parallèle menée par les envoyés du Pape, sans torture cette fois, révèle une facette effroyable. Un Templier raconte aux envoyés du Pape qu’il fut « placé dans une fosse, les mains si fortement liées dans le dos que le sang coule jusqu’à ses ongles ». Un autre dit que si les inquisiteurs le torturent à nouveau et lui demandent s’il a tué Dieu, il répondra oui. 

À Sens, un autre Templier explique aux envoyés du Pape que 25 frères sont morts des suites de ces violents interrogatoires. Et le Templier Bernard Dugué de Vado leur montre les deux os qui lui sont tombés du pied après des « questions » appuyées au feu ardent… D’autres montrent clairement des séquelles de syndromes post-traumautiques dans certaines comptes rendus d’interrogatoires. 

Ainsi, Pierre Chalendon, de la commanderie de Saint-Barthélémy du Puy se montre “tremblant”, “inquiet”, “balbutiant”, “vacillant” devant l’inquisiteur Guillaume de Saint-Laurent. Il est si perturbé qu’il reconnait avoir été contraint de cacher les secrets de l’ordre, pour ensuite affirmer le contraire. Quant à la fameuse idole qu’ils sont censé adorer, elle fait l’objet de quelques dizaines de descriptions différentes qui prouvent les Templiers doivent inventer les détails pour faire cesser les tortures. 

Des aveux corrigés de force

Parfois, les accusateurs interrompent l’interrogatoire car l’accusé ne répond pas de façon satisfaisante. Après une pause « technique » qu’on imagine épouvantable, il corrige ses aveux dans le sens souhaité. Dans le rouleau visible à Paris, on peut voir les aveux de Jean de Tour, Trésorier du Temple de Paris. Il reconnait les baisers aux endroits indiqués et qu’il a pratiqué de même avec les frères qu’il a reçus. Nicolas de la Chapelle fait de même en étant plus précis : « Lors des vœux de chasteté, on lui dit que s’il était mû par quelques chaleur naturelle, il se rafraichisse en compagnie d’autres frères, et qu’il supporte la même chose de la part des autres ». 

Chaque confession se conclut par la formule d’aveu effectué de façon « spontané » : « Requis de dire s’il a été contraint par la force, la crainte des tourments ou la prison, ou pour toute autre raison de prononcer quelques mensonges dans sa déposition, il dit sous serment que on, et qu’au contraire, il reconnut avoir la pure et unique vérité ». Car non seulement on torture violemment les Templiers. Mais une fois lourdement malmenés, on les contraint à déclarer que leurs aveux ont été obtenus sans contrainte ni violence, et qu’ils n’ont fait que dire la stricte vérité de leur plein gré ! Philippe le Bel a beau jeu de montrer ces confessions imparables au Pape. Bien entendu, il ne précise pas qu’il ne s’agit que de 40% des Templiers sur les 1150 arrêtés et torturés. 60% ont résisté mais sont morts sous la torture, en prison, disparus ou oubliés dans un cul de basse fosse.

Au final, Clément V dissout l’Ordre. Et Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay sont brûlés par ordre de Philippe le Bel à l’emplacement de l’actuel square du vert Galant le 11 mars 1315. Une chape de plomb s’abattra alors sur la mémoire des Templiers. Leurs aveux arrachés sous la torture nourriront la légende noire qui les entoure. Puis viendront les légendes des malédictions lancées par Jacques de Molay avant de mourir, le story-telling de certaines loges de Francs-Maçons pour magnifier leurs origines… Les forgeries de Fabré-Palaprat. Les élucubrations de Rosslyn Chapel. Les trafics de l’abbé Saunière maquillés en mystère ésotérique de Rennes-le-Château. La quête naïve du trésor des Templiers. Le Da Vinci Code. Tout un corpus de fictions et d’inventions sans fondements.

Jusqu’à ce que les historiens reprennent le dessus et réhabilitent enfin les malheureux Templiers, en se basant sur des études sérieuses et aujourd’hui très vivaces. Curieusement, les légendes de Templiers ne font plus recette. Ceci explique cela…